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Mon expérience du nu,

 

Je vis dans ce corps. 

Un corps qui ne m’appartient pas, un corps qui ne m’a jamais appartenu. Un corps dont le reflet m’inspire le dégoût, l’inconfort et l’imperfection, du fait de mon incapacité à le visualiser précisément dans mes pensées, et à la perpétuelle déception que m’évoque sa vision.

Comme toutes mes hontes, j’ai tenté de garder cette enveloppe corporelle, dont je ne peux pas me représenter l’aspect, à  l’abri des regards. j’ai perdu beaucoup de temps et d'énergie à détester ce corps, qui ne me conviendra sans doutes jamais, et encore plus à lutter contre cette haine, pour tenter de ne plus le détester, pour ne plus me détester.

 

De nouveaux mots sont apparus dans mon parcours, des noms aux consonances médicales et terrifiantes. Aphantaisie, dysmorphie, dysmorphophobie, dysphorie de genre… Des mots qui expliquent, mais qui ne guérissent pas. Des mots qui atténuent, mais qui ne parviennent pas à me réconcilier avec ce corps. Caché derrière mon masque de bonhomie et d’extraversions, je dissimule ma honte sous le couvert de l’humour, je fais avec, j’oublie.

 

C’est la première fois que le me mets à nu devant quelqu’un avec qui je n’entretiens pas de relation sentimentale ou sexuelle. Au début de la séance, je tremblais comme une feuille, et malgré mes rires et mes plaisanteries hésitantes, j’étais terrorisé. J’ai pleuré et subi la violence cachée sous la surface, désireux de l'extirper de mon corps. J’ai vécu l’angoisse qui habite chaque regard que je porte à son égard.

Et puis, dans l’obscurité rassurante du studio, sous la froideur triste du bleu et la puissance colérique du rouge, j’ai pu trouver un peu de calme et de sécurité. j’ai souri, aussi, en m’habituant doucement à ce corps que je fuis depuis toujours, en le découvrant sous d’autres facettes. je me suis surpris à apprécier certaines de ses formes, tantôt musclées et osseuses, tantôt graciles et féminines. 

Ce corps, que je vois parfois comme un simple amas de chair bouffie, repoussante, vieillissante, mourante, sublimé par la lueur des projecteurs, et du regard expert du photographe, figé, là, tantôt dans la peur, la souffrance et la haine, tantôt dans un instant d’acceptation et de paix.

 

Je ne suis pas sûr d’être un jour capable d’accepter mon corps tel qu’il est, mais je suis reconnaissant d’avoir pu expérimenter, exprimer et exorciser cette haine qui se calme, doucement, à mesure que je tente de tisser de nouveau liens avec lui, son apparence normale, ses dimensions délimitées dans l’espace, ses proportions, son histoire, son passé, son futur et sa fin.

 

Je ne t’apprécie pas, corps, du moins pas encore. Mais tes photos sont très jolies.

 

Martin

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